Exposition Galerie Couteron

16 rue Guénégaud – 75006 Paris

10 mars – 14 juin 2020

Une attention élégante et ascétique

Lors de la première exposition des aquarelles d’Elisabeth Vitou, j’avais été frappé par son art de donner une nouvelle vie à l’exercice traditionnel de l’aquarelle botanique. Notamment, avec son choix de montrer des plantes et fruits desséchés, ni morts ni vivants, placés quasiment hors du temps. Elle réduisait feuilles, racines et nervures à l’essentiel.

J’avais été frappé aussi par la dimension fantastique de ces peintures : choses dehors ou rêveries intérieures sur des choses ?

Avec ses nouvelles aquarelles, près de trois ans après, les plantes, fleurs et fruits qu’elle a peints n’évoquent plus ces paysages fantastiques.

Elisabeth Vitou récuse plus que jamais facilité et expressivité.

Dans la diversité de ce qui est exposé, je suis fasciné par un concentré d’attention et de virtuosité comme si chaque plante, fleur, végétal, fruit retenu réclamait un traitement particulier et avait été choisi pour cela même, comme une sorte de défi à l’attention, à l’acuité du regard et au savoir-faire artistique.

De manière égoïste et idiosyncrasique, j’ai ma préférence pour quelques images dans ce festival de subtilités.

Et d’abord l’artichaut. Tout y est dentelé – feuilles, tige, fleur, écrin de la fleur. Mais ce n’est pas un chardon, ça ne pique pas.  Une dentelure aussi parfaite qu’irréelle : un ornement vivant figé sous le regard.

Roses. Un panier de roses encore fraîches, qui pourraient devenir bientôt un pot-pourri odoriférant. Un incroyable déploiement d’attention et d’observation, un panier de savoir-faire de l’œil et de la main – et de patience, avec cette multitude de détails – feuilles, pétales, et ce fouillis organisé de couleurs sous la tonalité dominante du rouge mais pour aller jusqu’au jaune et au bleu en passant par le blanc.

Feuilles de vigne vierge – encore un exercice de virtuosité sur trois feuilles banales. A regarder de très très près pour saisir toute la délicatesse du traitement et sa précision  De minuscules taches de couleur, des cellules colorées, faisant ensemble feuille. De la vie à la vie qui s’étiole puis à la sécheresse qui vient.

Posidonie. Une algue, non ; une plante marine avec son rhizome sombre qu’on retrouvera en boules testiculaires marron et sèches sur les plages. Des feuilles vertes en sortent, dont certaines tournent déjà au gris et au noir. Ici pas de cellules colorées, mais des traînées de couleur qui portent en elles leur épuisement et leur acheminement insensible vers le pale ou le sombre.

Feuilles de cotinus. Elles sont vineuses mais ce ne sont pas des feuilles de vigne. Délicatesse des tiges, presque des aiguilles ou des épingles. Symphonie de rouges et jaunes, de rouges raisin, de rouges roses, de rouges jaunes.

Betteraves. Des testicules terreux, prolongés par une petite queue poilue. Pas un poil ne manque. Quand on regarde mieux, les gris sont pour certains violacés.

Navet vert, très japonais, au moins dans l’imagination qu’on se fait d’une peinture japonaise. Le vert s’éteint doucement pour passer au gris blanc jusqu’aux radicelles.

Et son frère, un de ses frères puisqu’il y a tant de variétés de navets, le navet noir. En fait pas complètement noir mais gris-noir avec une nuance de violet. Fatigué, un peu accidenté sur une de ses faces, avec de délicates radicelles.

Une feuille de nénuphar, mal en point, mangée et mitée par quelque parasite – un petit coléoptère friand des feuilles émergées. La feuille devient dentelle. L’occasion d’un exercice entre vert et brun et du suivi du découpage des parties rongées.

Encore dans le registre « navets », une courge – sauf que ce n’est pas une racine mais un fruit. Une merveille de petites taches brunes et de couleurs données délicatement à boire au papier. Pas une grosse courge Halloween, un potiron bleu de Hongrie dans sa couleur naturelle – un bleu céladon rare dans la nature.

Arum. Pas le calice virginal et sensuel de la fleur des fleuristes, mais la tige fibreuse, presque ligneuse de l’arum des sous-bois, une fois la fleur fanée, avec ses graines en colonie serrée sortant de la gousse. Pas encore rouges mais vertes. La performance ici : le rendu de ces petites ocelles vertes avec chacune un grain noir, pendues au bout d’une tige raide.

Datura – sans son fruit à piquant ni ses graines redoutables. Herbe du diable et des sorciers avec son incroyable et précieuse fleur tombante, blanche, comme un tube avec un entonnoir à lobes. Quelque chose de maladif dans cette splendeur en plein épanouissement vers le bas.

Une graminée avec sa racine, sa tige, ses nœuds, ses feuilles vertes ou jaunies. De nouveau l’art d’utiliser jusqu’au bout et d’un seul geste la charge du pinceau.

Pas d’unité thématique, pas de récit, pas de fantasme – à moins que les fantasmes ne viennent avec les mots qui nomment.

Un choix conscient de ce qui va défier aussi bien le regard que l’attention et le savoir-faire. Avec un refus de l’expression, de l’imagination, de la subjectivité. Et la décision fidèlement suivie de s’en tenir à la « chose-même », dans une méditation concentrée et ascétique.

Même la poésie de la nature-morte est neutralisée : restent seules une attention et une concentration absolues – une tension élégante et ascétique pour absorber ces choses et les « rendre », pour les faire siennes et les donner à la vue.

 

Yves Michaud, le 20 février 2020